EQUILIBRE

Mon œuvre Equilibre puise son inspiration dans l’univers légendaire des régions polaires. A travers cette œuvre j’ai voulu interpréter cette notion que l’on appelle « l’appelle du grand nord ». Région symbolique et mystique. Cette nature majestueuse évoque la solitude, la pureté.

Cette nature insaisissable regorge de formes diverses et j’ai voulu en donner ma propre vision en créant une sculpture incarnant cet univers. Mais au-delà d’une évocation de ces régions glaciales, cette interprétation symbolise bien d’autres aspects de notre époque.

Cette œuvre brodée s’inscrit dans le sillage des broderies ancestrales, en utilisant les matériaux qui m’entourent. Elle dépeint notre époque et s’interpelle. Le plastique est dans notre environnement et l’on connaît aujourd’hui son impact, notamment sur ces régions polaires. Cet appel du grand nord, résonne alors non plus comme une ode à l’évasion, mais comme un cri d’alarme saisissant d’une nature qui s’éteint.

Ainsi, le plastique s’immisce dans ma pièce comme il s’immisce dans la calotte glaciaire de façon sournoise et insidieuse. Mais les rôles sont ici inversés. En s’introduisant dans ma broderie, le plastique est réemployé, il est mis en valeur et ne devient pas un déchet nocif, mais un élément moteur de cette création. Le déchet s’harmonise naturellement avec des éléments neufs et devient une ressource à part entière. Et c’est la grande qualité de la broderie, qui révèle le potentiel de chaque matériau. Le plastique a révolutionné notre environnement, comment pérenniser ses qualités sans qu’il devienne un acteur de notre chute.

L’emploi de la couleur argent n’est pas anodin, symbole de richesse et de pouvoir, cette teinte est inhérente à l’histoire de la broderie. Elle est aussi symbole de pureté et de lumière, c’est en totale contradiction avec ce qui émane de l’imaginaire collectif lié au plastique de nos jours.

 En employant le plastique de couleur argenté, je souhaite démontrer qu’il possède autant de qualités, parfois davantage que d’autres matériaux et que son emploi est justifié. Mais c’est aussi un moyen de démontrer qu’il existe une grande diversité de matière pour une même teinte. Textile, papier, assiettes, le plastique prend différentes formes et cela induit une énorme production. Ainsi, notre environnement est inondé de matériaux divers dont nous ne connaissons qu’une partie de l’impact sur notre terre, qui pourrait se révéler pire que ce que l’on sait déjà, notamment lorsqu’il devient déchets.

Ainsi, comment conserver ses qualités sans qu’il devienne nocif ?

La broderie s’est développée en fonction des découvertes technologiques, de la découverte de l’or à la bakélite, la broderie est le témoin incontestable de la vie passée. Je m’emploie ainsi à travers le traitement des déchets du quotidien, à être le témoin de mon époque. Témoin technologique et sociétal où des changements importants sont à prévoir. La notion d’environnement est omniprésente et c’est une question selon moi, essentielle en tant que créateur.

De façon totalement antithétique, j’ai créé une œuvre inspirée des régions polaires avec des matériaux issu d’industrie qui contribuent à la détruire. Et c’est à travers ces contradictions que je souhaite interpeller. Comment pouvons-nous produire l’essentiel de nos besoins sans surconsommer ? Que pouvons-nous faire de cette surproduction, de ces déchets ? Comment les réutiliser ? Comment maximiser leurs capacités et les faire perdurer, pour éviter de produire à nouveau des éléments que nous possédons déjà en masse et dont nous ne savons que faire.

Déjà utilisé dans la région du Kantha en Inde pour redonner vie à des étoffes, la broderie semble être un moteur de recyclage, un moyen inépuisable pour réutiliser des matières. Les champs d’actions sont infinis et tout matériau semble s’adapter à ces techniques.

Mon œuvre s’inscrit non pas comme un exemple de recyclage, mais se veut comme porte-parole d’une époque et un réceptacle pour poser des questions. La broderie a été de tout temps une monnaie d’échange, d’échange des savoirs, et c’est de cette façon que je souhaite la diffuser.

Cette pièce raconte son époque, la place des régions polaires qui attisent tous les questionnements, récit d’une nature fascinante qui n’existera peut-être plus, la surconsommation, la capacité de l’art pour soulever des questionnements et la capacité des métiers d’art pour devenir acteur des changements de demain.

L’idée n’est pas de dénigrer les savoirs faire industriel qui nous entoure, car ils ont contribué à de nombreux changements positifs dans notre environnement, mais de questionner le monde sur sa capacité à trouver un équilibre. Comment utiliser ces technologies à bon escient sans surproduire et de façon écologique.

Par ailleurs, à travers cette œuvre, j’ai choisi de ramener la broderie à un principe fondamental, l’émerveillement. Pour Platon, l’émerveillement est le point de départ de la connaissance, le fondement de l’existence et la beauté, l’essence du monde. Ces paysages regroupent pour moi ces notions, à la fois rude et primitive, ils incarnent également l’émerveillement et la beauté.

 La religion bouddhiste, voit l’émerveillement comme la capacité à comprendre la nature ultime des choses. J’ai envie à travers cette pièce d’aider le spectateur à comprendre ce monde qui l’entourent, du moins à l’amener au questionnement, comme cette pièce m’a permis de réfléchir à la façon dont j’envisageai le monde, à la façon dont je souhaitais voir mon métier et les possibilités que ce dernier me laissait entre les mains. Et je crois, qu’elles sont infinies.

J’ai choisi de matérialiser cette notion d’émerveillement en créant une pièce majestueuse à la fois fragile et rigide où l’inattendu se trouve dans son volume et ses matériaux. C’est une broderie qui s’échappe des conventions, une broderie sans tissu, constituée uniquement grâce aux techniques de l’aiguille ou du crochet de Lunéville. Comme pour rappeler que la broderie se suffit à elle-même, elle est en soit la notion d’émerveillement et le point d’ancrage de tradition millénaire.

 En émerveillant le spectateur, je l’interpelle, pour ensuite l’amener à se questionner sur ce monde qui l’entoure. L’émerveillement tient le monde en équilibre, et de ce fait, j’ai choisi d’appeler ma pièce Equilibre. Cette notion qui recherche la juste proportion entre des éléments opposés, entre des forces antagonistes.

C’est tout le but de ma recherche à travers cette pièce. Comment arriver à trouver un équilibre sur notre planète pour la respecter tout en ne niant pas les découvertes majeures et en devenir. Car le progrès ne devrait plus faire peur, il devrait être synonyme d’espoir. Comment trouver une proportion harmonieuse entre tous ces éléments.

La broderie a toujours été chargée de symbole et un moyen d’expression puissant, elle à diffuser à travers les siècles la parole et le progrès. Comment peut-elle aujourd’hui continuer de diffuser les questionnements de notre époque. C’est à cette question que j’ai tenté de répondre.

Toutes les ramifications qui composent ma sculpture sont autant de possibilités d’avenir, de chemins à suivre. Elles imagent une nature qui bourgeonnerait, même pétrifiée dans la glace, même fragile et sommeillante, mais qui aurait encore en elle les capacités de se renouveler, alors pourquoi pas nous ?

Cette pièce, c’est aussi une façon de matérialiser, de réaffirmer que nos savoirs et les réponses aux futurs sont entre nos mains, que les artisans devraient être les premiers acteurs de ce changement, car ils sont au plus près de la matière.

Nous sommes dans une époque de désenchantement et j’ai choisi de replacer l’émerveillement au cœur de notre vie, pour insuffler un souffle d’espoir à une époque morose. Il s’agit de percevoir le merveilleux de ces mondes polaires, de saisir la magie et l’émerveillement qui en émanent, pour donner du sens à ce que nous vivons et trouver cet équilibre essentiel.

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